Tel était le titre d’une passionnante conférence organisée le 18 octobre 2018 par Agence Régionale de la Biodiversité Ile-de-France, et donnée par Jacques TASSIN, chercheur au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). Il s’agit ici de ma retranscription… forcément subjective. Que l’auteur veuille bien me pardonner mes erreurs, imprécisions et déformations de sa pensée.

 

Plantes invasives : une construction culturelle plus que scientifique

 

Ces questions font l’actualité : invasionsmigrations,… finalement, qui est l’ « autre » ? En près de 2 heures, bien des certitudes et des idées reçues ont été bousculées.

Au premier rang desquelles, celle-ci : les espèces invasives constitueraient la deuxième menace contre la biodiversité. Oui mais… 80% de ces estimations ont lieu dans des îles (par exemple, Hawaii). Il s’agit donc d’un biais majeur. En Europe, aucun exemple ne vient étayer cette affirmation pourtant reprise en boucle par de nombreux média.

En réalité, la notion d’ « exotique » et d’ « indigène » ne va pas de soi. Aucun caractère biologique ne permet en soi une telle classification. C’est avant tout une construction culturelle, ou plutôt un concept hybride entre le biologique et le culturel, théorisée vers 1820 par un certain John Henslow, contemporain de Darwin. Coïncidence ? Les premiers passeports apparaissent 10 ans plus tard (mes recherches ne m’ont pas permis de confirmer de cette affirmation du conférencier) ; n’y aurait-il pas une similitude entre « l’exotique » et « l’étranger » ?

Un autre biais serait constitué par le nombre considérablement plus élevé d’études sur le caractère invasif des espèces dites exotiques : 40 fois plus d’études, et donc 40 fois plus de « pollution » ? On n’est pas loin de la manipulation.

Jacques Tassin nous met en garde contre le côté normatif de notre monde : l’acacia dealbata, ou mimosa, serait mal vu du côté de l’Esterel mais un « étranger intime » à Madagascar où il a pourtant été introduit en provenance d’Australie ? On voit bien que ce concept n’est pas universellement valable.

Pourtant, à l’occasion d’initiation à l’environnement des participants sont invités à« arracher » les plantes invasives, comme la jussie sur le canal de la Crau : pour quoi ? Pour « racheter notre faute » en tuant le bouc émissaire ? Mais cela n’a pas de sens, car on ne revient jamais en arrière.

Il rappelle notre difficulté à inscrire le vivant dans le temps – problème que connaît d’ailleurs bien le forestier. Ainsi de l’ « algue tueuse » de Méditerranée qui a reflué d’elle même et réduit de 80% après avoir fait les gros titres. La notion de successions végétales reste compliquée d’accès pour le grand public ; même celle de « climax », ne tient plus aujourd’hui à en croire Jacques Tassin.

 

Menace ou opportunité pour la biodiversité ?

 

Enfin, il faudrait également renoncer à l’illusion d’un monde « découplable » car une espèce introduite se naturalise en interagissant avec le reste de l’environnement. Pourtant, certains en viennent à la combattre avec des herbicides ; c’est ainsi que 62% des « espaces naturels » sont maintenus ainsi en Californie ; ou qu’en Grande-Bretagne on combat le goujon asiatique avec de la roténone…

Quelles en seront les conséquences ? Qui peut prévoir les trajectoires ?

Une nouvelle technique comme le LIDAR (Laser Detection and Ranging, technique permettant de « gommer » la végétation en vue aérienne et de révéler les structures dans le sol) révèle qu’une « forêt primaire » en Amazonie était en fait une terre cultivée quatre siècles plus tôt… Telle espèce de rousserolle sauvée par un acacia « invasif »… Le rat (horreur !) disperseur d’espèces « indigènes » (bonheur !). La réalité se joue de nos simplismes et de nos certitudes.

 

Changer notre regard sur notre environnement

 

En conclusion, que signifie un tel discours sur le rejet de l’autre ? Que nous dit-il sur notre rapport à l’altérité ? Cette conception assez anglo-saxonne d’un monde compartimenté dépeint un monde où l’action de l’homme est négative ; quand un tel consensus se fait jour, c’est que quelqu’un a pris le pouvoir… Pour ne prendre qu’un exemple, cette vision s’oppose par exemple à la tradition forestière française de la multifonctionnalité.

Pourtant, Yellowstone serait-il ce qu’il est aujourd’hui, si pendant mille ans les Amérindiens qui le peuplaient n’avaient pas fait du feu et entretenu la prairie ?

Dès lors, il nous faut apprendre à mieux regarder le vivant – car nous avons désappris – et voir, au-delà des menaces apparentes, des opportunités possibles. Et surtout, assumer ses choix : « cette espèce, je n’en veux pas parce que je ne l’aime pas » !

Jacques Tassin termine son exposé par un certain nombre de propositions :

  • une vigilance à l’égard des composants normatifs, des métaphores, des amalgames
  • une vigilance face à la confiscation de la construction sociale de la problématique
  •  une vision contextualisée, hiérarchisée, fondée, diversifiée, non consensuelle
  • une clairvoyance sur l’impact des luttes
  • une analyse de son propre regard, de sa propre rhétorique, de ses propres aspirations

Belle découverte en tous cas que celle de ce chercheur au questionnement multiple et fécond (voir sa biographie sur le site du CIRAD), qui a entre autres consacré trois ouvrages à Maurice Genevoix, « grand écrivain des formes du vivant et des amitiés secrètes qui nous lient à elles ». Pas sûr que le ce dernier trouve son compte dans le projet présidentiel de l’enfouir dans les froides et minérales caves du Panthéon…

(Lisez l’article original sur LinkedIn)

 


 

 

Etienne ROGER – Directeur des Opérations / Directeur Général de Transition

“Ayant bénéficié d’une double formation d’ingénieur (Centrale / Eaux & Forêts) j’ai construit mon parcours depuis 25 ans dans des PME en développement avec quelques parenthèses dans les institutions publiques, pour des missions de direction générale et développement de projets en régions, ainsi qu’en création d’entreprises.
Au plus près du terrain et territoire, je sais que la valeur d’une entreprise tient avant tout aux personnes qui la composent, et que sa force est liée à sa façon d’envisager la fragilité.”

 

 

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